Le tendancialiste Jörg Wallner définit au cours d’un entretien avec KAMPMANN AUJOURD’HUI des termes comme « industrie 4.0 » ou « transformation numérique » et explique comment y parvenir.

Monsieur Wallner, le terme « numérisation » est omniprésent, tout le monde le connaît. Et pourtant beaucoup ont du mal à le définir. Et quand il s’agit de transposer ce processus dans une entreprise, en d’autres termes, de procéder à une transformation numérique, certains sont encore totalement dépassés. Vous êtes un tendencialiste spécialisé dans ce domaine et vous conseillez les entreprises sur la question de la révolution numérique et de l’industrie 4.0. Pourriez-vous éclairer notre lanterne?

Je vais faire de mon mieux !

Commençons par une question simple : comment définiriez-vous la numérisation en quelques mots?

La numérisation est un processus de transformation profond de notre monde, tant au niveau personnel que professionnel, qui est déclenché et accéléré par des technologies disruptives, mais qui ne doit pas seulement être envisagé sous une perspective technologique. En effet, cette numérisation entraîne aussi un changement des valeurs sociales. Les technologies de numérisation consistent en l’analyse des données, la connexion d’appareils intelligents ou l’automatisation des processus grâce à des systèmes d’intelligence artificielle. Et bien que l’on rencontre encore souvent cette formulation, cela fait longtemps que la numérisation est devenue bien plus qu’une simple conversion de formats analogiques en formats numériques, mais consiste aussi en des produits personnalisés, des approches personnelles et la résolution de problèmes.

Et qu’entendez-vous par « industrie 4.0 » ?

Par industrie 4.0, on peut comprendre la combinaison d’une production industrielle classique avec des données et des technologies disruptives de la numérisation. De tout nouveaux processus de production, d’entretien et de communication deviennent possibles en connectant des machines à un « Internet des objets ». Des données sont collectées par des capteurs à chaque point du réseau, puis exploitées toutes ensemble dans des analyses de mégadonnées et enfin utilisées pour optimiser la chaîne de valeur entière. Associée à des systèmes d’intelligence artificielle, l’utilisation accrue de robots dans la production permet d’automatiser une grande partie des processus et de laisser les systèmes prendre directement des décisions. Par exemple, les machines peuvent de cette façon signaler des signes d’usure et demander la réalisation d’un entretien avant même que la production ne tombe en panne.

« La compréhension actuelle de la clientèle et l’avantage concurrentiel offert par l’expérience sont mésestimés et les nouvelles technologies sont rejetées de manière hâtive. »

On a l’impression que beaucoup d’entreprises, surtout les PME, essaient encore de comprendre ce qui se passe, au lieu de prendre activement part au processus. Pourquoi la transformation numérique est-elle si compliquée pour les entreprises?

À mon avis, différents facteurs jouent un rôle : d’une part, nous nous trouvons dans une situation économique très positive, beaucoup de sociétés n’ont tout simplement pas besoin de changer de modèle commercial. C’est une vision à court terme qui se paiera au plus tard lorsque le succès ne sera plus au rendez-vous et que les moyens financiers nécessaires pour la transformation numérique, particulièrement onéreuse, ne seront plus disponibles. D’autre part, de nombreuses entreprises ne trouvent pas de point de départ pour commencer leur transformation numérique. La multitude de possibilités ainsi que l’absence de savoir-faire et de moyens financiers dans les services correspondants entraînent alors une sorte de paralysie, dans laquelle on préfère ne prendre aucune décision plutôt que des mauvaises. On constate également qu’un grand nombre d’entreprises n’est pas certain des avantages que pourrait apporter un modèle économique fondé sur les données. La compréhension actuelle de la clientèle et l’avantage concurrentiel offert par l’expérience sont mésestimés et les nouvelles technologies sont rejetées de manière hâtive.

Jörg Wallner leaning against a railing – Director Innovation & Change at 2b AHEAD ThinkTank

Jörg Wallner est le directeur Innovation et Changement chez 2b AHEAD ThinkTank. Le tendencialiste est un expert des thèmes comme l’industrie 4.0, la mobilité de demain et la transformation numérique. Jörg Wallner est diplômé en politologie, sociologie et journalisme et titulaire d’un doctorat, c’est un conseiller expérimenté et un conférencier d’honneur très en vue.

D’aucuns, et pas seulement des Rhénans, pensent peut-être aussi « et hätt noch emmer joot jejange » (proverbe de Rhénanie signifiant « ça s’est toujours bien passé ») et passent ainsi complètement à côté de la transformation. Dans quelle mesure l’impact peut-il être négatif?

Les conséquences peuvent revêtir des formes très différentes selon le secteur : la numérisation fait son entrée bien plus tard sur certains marchés et quasiment tous les concurrents se trouvent dans la même situation d’hibernation, de sorte que l’entreprise peut avoir une seconde chance. Toutefois, il est plus que probable que la transformation numérique devienne incontournable au plus tard à ce moment-là. Néanmoins, dans la plupart des cas, la concurrence ne va pas rester les bras croisés, et dès lors qu’au moins une entreprise exploitera à son propre avantage les atouts conférés par la transformation numérique en matière d’efficacité, cela deviendra le nouveau standard du secteur. Étant donné que cette entreprise aura déjà créé une base sur laquelle elle pourra mettre en œuvre de nouveaux projets, l’ensemble des autres concurrents auront du même coup plus de mal à tenir, voire à dépasser, ce rythme de développement. Toute société qui n’y parvient pas ou qui ne se démarque pas autrement aux yeux des clients se verra très probablement éjectée du marché.

Imaginons une entreprise qui fonctionnait jusqu’alors de façon entièrement « analogique ». Son chef annonce alors : « Cap sur la numérisation ! » Mais personne ne sait comment et par où commencer. Que leur conseillez-vous ?

Il faudrait commencer par développer une stratégie numérique, afin de réfléchir en détail aux projets à long et court terme et les mettre en relation. Sans planification correspondante, on risque de ne pas lancer certaines initiatives numériques, de ne pas aller au bout de celles-ci ou encore de les voir tomber à plat après leur mise en œuvre, car leurs objectifs n’ont pas été clairement définis dès le départ. Il faudrait ensuite entreprendre les premiers projets, de petite envergure, dans le cadre de cette stratégie numérique pour obtenir des résultats positifs rapidement et convaincre dans un premier temps les employés sceptiques. En général, il est au moins aussi important d’intégrer les employés dans la numérisation que de mettre en œuvre le processus lui-même : une transformation est tout bonnement vouée à l’échec si le personnel oppose résistance. À l’inverse, une transformation à laquelle les collaborateurs prennent pleinement part est d’autant plus efficace.

« Il est au moins aussi important d’intégrer les employés dans la numérisation que de mettre en œuvre le processus lui-même. »

Pour les entreprises qui fonctionnent d’ores et déjà numériquement, comme le commerce électronique, la mutation sera plus facile. La situation semble déjà plus compliquée dans le secteur de la production. Dans quelle mesure une entreprise métallurgique par exemple peut-elle être numérique ?

Dans chaque branche, il existe une certaine marge d’optimisation grâce à une transformation numérique, mais bien sûr les points de départ sont très différents. Alors qu’une entreprise commerciale ne demande que peu d’installations et que la priorité est souvent donnée à des chaînes de livraison efficaces et connectée de façon numérique, les machines constituent encore une grande partie des ressources dans le secteur de la production. Toutefois, chacune de ces machines permet par exemple de collecter des données en utilisant des capteurs et de les exploiter toutes ensemble dans des analyses de mégadonnées. Cela est l’occasion de mettre en place une forme d’automatisation : si le système rencontre un problème pendant l’analyse des données, par exemple, une pièce qui approche de sa limite de charge dans une entreprise métallurgique, il est alors possible de prendre des contre-mesures en temps réel. Les températures peuvent être automatiquement adaptées, les machines recalibrées ou, en cas d’usure sur les installations elles-mêmes, entretenues à l’avance, de sorte que la production ne tombe pas en panne. Et pourtant, la transformation numérique renferme un potentiel en dehors de l’activité principale des entreprises de production. Notamment pour la communication avec les clients ou les fournisseurs qui peut être améliorée grâce à de nouveaux canaux, plateformes et formes de coopération numériques fondés sur les données, ainsi que la collaboration entre ses propres employés.

Pour finir, une petite perspective d’avenir : où voyez-vous les PME allemandes en 2030 ? Ou plutôt : où aimeriez-vous les voir ?

J’aimerais que d’ici là toutes les PME soient au clair sur l’ampleur et la pertinence de la transformation numérique. Au rythme auquel notre monde personnel et professionnel change, rythme voué à encore augmenter, il sera trop tard dans douze ans pour seulement entamer cette transition. Il existe déjà toute une série d’entreprises extrêmement innovantes qui rencontrent aussi un grand succès à l’échelle internationale avec leur modèle économique, mais il existe également un grand nombre de PME pour lesquelles la numérisation est principalement un risque et qui continuent d’attendre. Beaucoup ne sont pas encore conscientes des possibilités qui s’offrent à elles et sont trop occupées à optimiser leur modèle économique actuel pour voir les évolutions importantes à l’œuvre dans d’autres entreprises, secteurs et pays. Mais selon moi, ce potentiel doit être utilisé pour renforcer leur positionnement en Europe, en tant que précurseur, et face à de grands groupes et des jeunes entreprises innovantes.