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« Partez du principe qu’il faut couper les ponts avec les anciennes traditions. »

Interview d’un expert sur la question du BIM : Michael Gehrlein sur les difficultés et les avantages du bâti immobilier modélisé.

Monsieur Gehrlein, comment définiriez-vous le BIM en quelques mots ?

Le BIM est la collecte assistée par ordinateur des données de l’ensemble des équipements utilisés sur le bâtiment pour créer un modèle de données. Ces données sont fournies par toutes les entreprises participant à la construction. Les calculs de puissance et de charge, les schémas et les cahiers des charges (mesures) doivent fonctionner de façon bidirectionnelle avec le modèle de données, afin de pouvoir procéder à des modifications des plans en déployant moins d’efforts, en faisant moins d’erreurs de transmission et en assurant une plus grande sécurité en termes de coûts.

Le BIM est dans toutes les bouches, mais il laisse encore un goût plutôt amer. Il semble prendre beaucoup de personnes de court. Pourquoi ?

Cela fait des dizaines d’années que les processus de travail se déroulent plus ou moins de la même façon. Certes, il est courant de créer des schémas 2D et de rassembler des mesures, mais l’habitude de reporter à la main les données résultant de calculs sur des schémas, puis les mesures dans un cahier des charges est tout aussi tenace. Apparus à la fin du siècle dernier, les systèmes CAO 3D sont jusqu’à maintenant utilisés systématiquement par seulement environ la moitié des concepteurs d’équipements techniques du bâtiment. La raison : des exigences plus élevées des utilisateurs et un temps de traitement plus long. Le BIM nécessite d’emprunter de nouveaux chemins et de disposer de processus de travail disciplinés et surtout en 3D. Cela induit de nouveaux formats et de nouvelles interfaces de données, IFC ou gbXML par exemple, ce qui dans la plupart des cas requiert de passer à une nouvelle génération de logiciels, qu’il faut à leur tour prendre en main. Les moyens techniques utilisés depuis de longues années et l’échange de simples données de dessin, comme les documents en deux dimensions au format DWG et PDF, ne sont pas conformes au BIM en raison de leur médiocre valeur informative et vont disparaitre. Donc pour répondre à votre question : en plus des changements onéreux de logiciels et des mesures de formation, il faut bâtir une toute nouvelle expérience dans les années à venir. Difficile d’en estimer les coûts. Des doutes quant à la gestion viennent en plus s’ajouter constamment au projet.

Que recommandez-vous aux architectes et aux concepteurs qui commencent tout juste à se pencher sur ce sujet, comment doivent-ils aborder cette question ?

Le BIM trouve ses racines dans la création d’un modèle numérique de bâtiment en trois dimensions. Cela vaut autant pour les architectes, les ingénieurs BTP et les concepteurs des techniques du bâtiment d’un même projet. Comme déjà évoqué, l’équipe de projet et tous les employés participants doivent procéder à une transition pour le moins complexe. Il faut apprendre à utiliser un tout nouveau logiciel. De ma propre expérience, ce n’est en général qu’à partir de ce moment que beaucoup de concepteurs réussissent à se représenter ce qu’est vraiment le BIM. Soyons clairs : il faut couper les ponts avec les anciennes traditions pendant le processus d’intégration. La Grande-Bretagne a déjà largement pris les devants. Sans BIM, on n’entre dans presque plus aucun appel d’offres sur l’île.

Comment se fait-il que l’Allemagne, un pays très développé sur le plan technologique, soit autant à la traîne ?

« L’Allemagne est un pays de poètes et de penseurs. Une nouvelle règle sera gravée dans le marbre comme les Dix Commandements et restera inchangée. » Cette phrase m’a été confiée par un Norvégien qui travaille depuis plus de dix ans dans la conception de bâtiments avec le BIM. Par là, je ne veux en aucun cas dénigrer le travail de nos associations d’architectes et d’ingénieurs. D’après moi, la cause de ce retard réside dans notre décret sur les honoraires (HOAI) qui ne prévoit l’utilisation de modèles de bâtiment 3D/4D que dans une seule phrase sous « Prestations spécifiques », et ce, de manière non obligatoire. Et tant que nous ne changerons pas cette règle en Allemagne et ne constituerons pas un corpus de règles sur les honoraires conforme au BIM, la majorité des concepteurs et maîtres d’œuvre renonceront à l’utiliser.

Selon vous, quand est-ce que le BIM sera employé sur tout le territoire allemand ?

En 2020, le ministre fédéral des Transports et des Réseaux numériques veut que le BIM devienne obligatoire pour les chantiers chiffrés à au moins cinq millions d’euros au total. Certains groupes imposent aujourd’hui déjà l’utilisation du BIM pour les nouveaux bâtiments et les rénovations. Cela signifie qu’à l’heure actuelle tous les concepteurs, aussi expérimentés soient-ils, ne peuvent pas participer à un appel d’offres s’ils ne sont pas eux-mêmes en mesure de mettre en œuvre le BIM. Par conséquent, de plus en plus d’entreprises de planification devront se mettre au BIM pour faire face à la pression de la concurrence. L’expérience avec le BIM augmentant, il sera peut-être aussi possible de traiter des projets de construction moins onéreux, car de nombreuses entreprises prendront conscience des avantages après avoir surmonté les « dommages collatéraux ». En outre, je suppose que le HOAI sera adapté en conséquence dans un avenir proche. J’imagine donc que d’ici 2030, dans les conditions données, le BIM se sera imposé pour toutes les constructions qui dépassent la taille d’une maison de 4 appartements.

À quoi ressemble précisément un fichier BIM pour un seul produit ? Que contient-il ?

Michael Gehrlein

Informations personnelles

Michael Gehrlein est à la fois expert en CAO et en équipements techniques du bâtiment. Cela en fait notre interlocuteur idéal sur la question du BIM. Il est entre autres dessinateur industriel et technicien agréé pour les techniques de chauffage et de climatisation. Pendant six ans, Michael Gehrlein travaille dans le bureau technique d’une entreprise industrielle leader, au niveau de la conception des équipements techniques du bâtiment de gros projets. Puis encore six ans à la tête d’une équipe d’une association d’ingénieurs avec des projets dans toute l’Allemagne. Depuis 2004, Michael Gehrlein travaille comme prestataire indépendant et aide les entreprises à intégrer et à utiliser efficacement la conception assistée par ordinateur pour les équipements techniques du bâtiment. Plus d’informations sur www.gehrlein.de.

Prenons un chauffage en caniveau de Kampmann. Un seul et même fichier contient à la fois sa géométrie et toutes les désignations et données relatives à sa puissance et à ses raccordements nécessaires. En l’associant à un modèle BIM, on obtient les mesures qui sont directement reportées dans un programme pour créer un cahier des charges. Les débits volumiques requis nous permettent d’identifier si les conduites raccordées ont des dimensions suffisantes et si la couverture de la charge calorifique est admissible. Si la taille d’une pièce ou le nombre de convecteurs change, on le remarque en temps réel sur les objets qui en dépendent et peut y réagir directement. À titre de comparaison, on utilisait jusqu’à maintenant un volume géométrique ou un bloc 2D formé à partir du convecteur qui ne comprenait que peu d’informations. Les textes nécessaires étaient inscrits à la main dans le dessin CAO, à côté du produit, et devaient être explicitement pris en compte en cas de modifications.

Et peut-on construire toute une maison numérique à partir des différentes données BIM de dizaines d’éléments de construction ?

Bien sûr que c’est possible ! Tous les objets contenus dans le modèle sont classés dans des catégories de modèles, peuvent présenter des interdépendances, être filtrés et analysés. Les technologies logicielles actuelles permettent de modéliser de façon tout à fait acceptable tous les objets imaginables. Toutefois, lors de la construction, il faut manipuler ces données de manière conséquente et responsable, car les erreurs de conception et les éléments non achevés dans un modèle de données peuvent être contrôlés et signalés plus simplement qu’avec les anciens plans CAO.

La collaboration est à l’ordre du jour dans les systèmes BIM sophistiqués, comprenez : différentes parties, différentes disciplines ont accès à un modèle central. Admettons que l’une des parties change quelque chose, comment les autres participants le découvrent-ils ?

À mon sens, une véritable collaboration n’est possible que si toutes les entreprises participant au projet travaillent sur un seul et même modèle de données ou avec une combinaison de différents modèles de données. Ce n’est, à ce jour, possible que s’ils utilisent tous le même logiciel. On identifie les modifications apportées par une autre partie, par exemple, au fait que les interdépendances entre ses propres objets et les objets modifiés de l’autre partie ne peuvent plus être respectées et que le logiciel émet donc un message d’erreur. Comme le format IFC sert uniquement de moyen de transfert pour l’importation et l’exportation des différents systèmes CAO/IAO, les modifications effectuées sur un nouveau modèle BIM importé doivent être déterminées par exemple à l’aide d’un contrôle de collision. Cependant, les entreprises qui prennent part à la conception devraient continuer à communiquer personnellement et à se concerter sur les modifications.

Quand le bâtiment est terminé, est-ce que je peux classer le modèle numérique du bâtiment comme « terminé » dans nos dossiers ?

Non et justement ! Jusqu’à maintenant, les états de conception et les documents de révision disparaissaient dans les archives après le chantier. À l’inverse, il faut impérativement continuer à utiliser les données BIM ! L’infogérance constitue justement une lourde charge administrative, notamment pour les bâtiments industriels : il faut souvent gérer le système de verrouillage de plusieurs centaines de portes. Les entreprises de nettoyage et les exploitants du bâtiment veulent connaître le nombre de mètres carrés au sol à laver et aspirer. Combien de fenêtres doivent être nettoyées ? Quelles ampoules sont destinées à quelle pièce ? Les échelles sont-elles suffisamment hautes pour remplacer les ampoules ? Où se trouvent les détecteurs de fumée et les clapets coupe-feu qui doivent être entretenus ? Et ainsi de suite… Tout cela peut être déterminé à partir des données BIM. Des transformations sont apportées après quelques années : des murs sont décalés, ce qui signifie que les conduites devront éventuellement être reposées et recalculées en même temps. Quelle quantité de gravats sera alors produite, quel matériau doit être éliminé dans les règles de l’art ? Toutes ces opérations dissimulent à nouveau des coûts qui peuvent être déterminés avec précision sous des conditions BIM.

En résumé, quels sont finalement les avantages du BIM pour les projets de construction ?

Des processus de conception plus efficace et la prévention d’erreurs de planification grâce à la « participation active du logiciel ». La mise en œuvre plus rapide des modifications à la demande du maître d’œuvre pendant les phase de conception, le logiciel pouvant bien sûr tenir compte des interdépendances avec les zones adjacentes. La détermination précise des mesures de tous les corps de métier. Toutes ces choses entrent pour beaucoup dans les coûts de conception, de construction et d’exploitation.

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